De l'art pour redonner vie aux espaces vacants
Le peintre Paul Nadeau et le commissaire Philippe Bourdeau ont fait renaître pour quelques semaines un local abandonné de la rue Bernard. Est-ce que cet exemple peut servir à plus grande échelle?
C’était en 2015. Parmi l’impressionnant bric-à-brac de la boutique D’un sport à l’autre, j’avais enfin trouvé une nouvelle selle de vélo. Pas très chère, plutôt jolie, et parfaite pour accommoder une femme enceinte qui espérait faire encore quelques semaines de vélo!
Cinq ans plus tard cependant, tout avait changé. La boutique était maintenant vide et les vitres étaient recouvertes de graffiti.
Voilà une histoire que nous ne connaissons que trop bien dans le Mile End, et qui se répète un peu partout à Montréal et ailleurs.
Une multitude de petites entreprises s’installent dans un secteur parce que les loyers sont bas, puis lorsque celui-ci gagne en popularité, ces mêmes entreprises (qui souvent n’ont pas signé de longs baux) ne peuvent pas survivre aux hausses de loyer exigées.
C’est à ce moment que débarquent les gros joueurs de l’immobilier qui ont les reins assez solides pour attendre l’arrivée d’un locataire très payant.
La renaissance du local D’un Sport à L’Autre
Mais lueur d’espoir cet automne: voilà que l’ancien local D’un Sport à l’Autre, situé sur Bernard entre de l’Esplanade et Waverly, a rouvert ses portes. Le propriétaire n’a toujours pas trouvé de locataire prêt à payer le prix demandé, mais il a accepté de prêter gratuitement son local en échange de quelques rénovations.
L’initiative est le fruit du jeune peintre Paul Nadeau et du commissaire Philippe Bourdeau qui étaient à la recherche d’un endroit pour organiser une exposition. Ils cherchaient un lieu où présenter des oeuvres sans devoir payer un énorme loyer et sans avoir à faire de nombreuses soumissions pour tenter d’obtenir une place dans une galerie d’art traditionnelle.
« J'ai littéralement passé un après-midi à faire du vélo dans le quartier et dans la Petite Italie,” explique Paul Nadeau. “J'ai pris des photos des devantures vides où se trouvaient des informations d’un agent immobilier dans la fenêtre. Et ce local est en fait le premier que j'ai contacté.”
Coup de chance: le projet a immédiatement emballé l’agente immobilière qui a convaincu le propriétaire d’aller de l’avant.
Après la rédaction d’un contrat, les travaux de rénovation ont commencé. Le peintre a réparé et bouché des centaines de trous dans les murs et le plafond avant de tout repeindre.
Les travaux ont duré près d’un mois, mais pour Paul Nadeau, les efforts déployés en valaient la chandelle. Il a reçu une marée de réactions positives : “À la fois des gens qui font partie de la communauté des arts visuels, mais aussi des gens qui sortent un dimanche comme aujourd'hui,” dit Paul Nadeau. “Ils voient que quelque chose se passe et ils entrent, ils amènent leurs enfants. [J’ai reçu des commentaires positifs] des gens de la communauté qui sont excités de voir que quelque chose se passe ici.”
L’occupation de cette énorme vitrine sur la rue Bernard lui a également donné beaucoup plus de visibilité qu’une exposition dans une petite galerie d’un secteur moins achalandé. L’exposition a même reçu une petite mention dans Le Devoir “ce qui va être très utile pour nos demandes de subventions à la ville, au Conseil des arts du Canada et ce genre de choses,” ajoute Paul Nadeau.
Redonner vie grâce à une occupation temporaire
L’occupation temporaire de locaux vacants par des artistes semble prendre de l’ampleur au Québec. Seulement cette année, il y a eu des ateliers de création dans des boutiques vides au centre-ville de Montréal, des acrobates dans une crémerie fermée pour l’hiver à Hochelaga et des œuvres d’art exposées dans les vitrines vides du centre-ville de Sherbrooke.
En plus de remettre un peu de vie dans les artères commerciales, ces initiatives permettent aussi à davantage d’artistes de présenter leurs œuvres. “Parce qu'il y a beaucoup de productions culturelles qui n'ont aucun espace pour être présentées,” explique Paul Nadeau.
Faciliter les initiatives d’occupation temporaire, c’est d’ailleurs une des solutions étudiées par Montréal pour lutter contre les locaux vacants. On retrouve cette idée et de nombreuses autres dans un rapport de la Commission sur le développement économique et urbain et l’habitation, pilotée jusqu’à récemment par Richard Ryan, ancien conseiller de la Ville dans le Mile End.
Il faut dire que pour l’instant, il y a peu d’avantages pour les propriétaires qui acceptent ce genre d’occupation. Paul Nadeau a été chanceux, mais une initiative similaire à San Francisco a obtenu beaucoup moins de succès. Très souvent, les propriétaires y voient plus de risques et d’inconvénients que de potentiels gains.
C’est pourquoi Richard Ryan estime qu’un moyen intéressant serait l’ajout d’un bonus-malus, c’est-à-dire un montant à payer selon la durée d’inoccupation d’un local, pour inciter les propriétaires à agir dans ce dossier.
« Une redevance réglementaire, c’est le bâton et la carotte,” explique Richard Ryan. “Si le propriétaire occupe temporairement son local à bas prix, fait une entente sur quelques mois – ça peut être avec des artistes, ça peut être pour un Pop-up - il pourrait se soustraire de la redevance à payer. »
D’autres outils pour fuir le cycle de la spéculation
Après avoir piloté une vaste consultation sur le phénomène des locaux commerciaux vacants, Richard Ryan a une excellente vue d’ensemble sur cette problématique. Parmi les 38 recommandations émises par la commission qu’il a présidé, il en souligne quelques-unes:
l’affichage d’un certificat de location pour tous les locaux vacants indiquant la superficie, ce qui est compris et quels en sont les usages permis. Pour l’instant, il n’y a pas de base de données complète des locaux vacants à Montréal.
des négociations avec Québec pour rendre obligatoire l’enregistrement de tous les baux commerciaux. “L’enregistrement obligatoire protège minimalement s’il y a un changement de propriétaire durant ton bail, parce qu’un nouveau propriétaire peut ne pas reconnaitre ton bail, même si c’est un bail de cinq ou dix ans,” explique Richard Ryan.
l’acquisition de bâtiments commerciaux par la ville de Montréal ou par des partenaires en économie sociale. “Pourquoi les Sociétés de développements commerciales ne se mettent pas ensemble pour créer un bras immobilier en économie sociale, en OBNL? Tu viens de couper l’herbe sous le pied des Shiller! »
Finalement, Richard Ryan rappelle que l’union fait la force. « Pour le Mile End, idéalement, il faudrait qu’il y ait une association commerciale forte. »
Après tout, c’est en s’unissant que Mile End Ensemble a gagné la bataille contre un géant de l’immobilier pour permettre la survie de la petite libraire S.W. Welch sur Saint-Viateur.
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